De Narcisse à la chleuh

D'Eve à Narcisse, de Narcisse à la chleuh, ont roulé les torrents de tous les siècles. Sur toutes les terres, glaciales ou torrides, clémentes ou dures, fleuries ou pierreuses, toutes les femmes ont reflété leur image à tous les miroirs.

Miroirs moirés et tremblants, sombres, profonds et verts, miroirs de l'eau - miroirs pesants et sonores du bronze - miroirs précieux de l'or et de l'argent - miroirs froids de l'acier - miroirs frêles et véridiques de Venise ! Miroirs magiques et maléfiques des nocturnes incantations - miroir ou Marguerite riait de se voir si belle - miroirs ardents qui brûliez les vaisseaux - miroirs brisés qui portez malheur - vieux miroirs glauques, fatigués d'avoir dit trop de vérités ! Miroirs scintillants, déformants, embellissants, miroirs minuscules ou géants, miroirs menaçants ou rassurants, miroirs aimés ou haïs, miroirs qui versez l'espoir ou la peur, miroirs qui apportez la surprise joyeuse ou la déception amère, miroirs qui annoncez le succès ou la défaite, vous stimulez l'effort ou la conquête, vous exigez le renoncement, vous permettez l'illusion bienfaisante d'une heure et vous assénez la révélation meurtrière, vous dénoncez la ride au réveil qui ne l'attendait pas, le cheveu gris à la tempe encore fraîche, mais aussi la fossette qui demeure à la joue qui ne l'espérait plus.

Espérer... craindre...sont les deux pôles du grand drame. C'est aussi l'éternelle et double question de la femme au miroir.

La philosophie de l'élégance, 1942

Maggy Rouff