21/11/2013
Vie mondaine
La vie mondaine doit figurer parmi les causes possibles du surmènement. Non qu'elle exige nécessairement une dépense exagérée d'activité cérébrale; mais elle expose ceux qui la mènent à des sources multiples de fatigue. Bien ...qu'elle soit surtout à la portée des oisifs, elle laisse peu de temps pour les loisirs reposants du chez soi et pour les distractions calmes et réconfortantes du home. Il n'y a pas, a-t-on dit, de gens plus occupés que ceux qui ne font rien; cet aphorisme est plus vrai que ne porterait à le penser son apparence paradoxale. On n'aura pas de mal à s'en convaincre en se représentant ce qu'est l'existence, dans le milieu parisien surtout, des personnalités lancées, comme on les appelle dans l'argot courant. Le mondain, la mondaine surtout sont absorbés tout le jour par les exigences que leur imposent les conventions et le vain souci de leur réputation : les visites, les dîners, les bals, les soirées leur font une vie de continuelle contrainte et d'obligations sans répit. La mode, qui pour l'heure a introduit chez nous la tendance à copier les habitudes anglaises, et qui momentanément (car toute mode est passagère) a fait entrer dans les moeurs des gens select le goût des promenades au grand air et des exercices de sport dans la matinée, atténue, il faut le dire, dans une certaine mesure, les inconvénients sérieux d'un genre d'existence contraire à toutes les règles de l'hygiène. Elle les atténue, mais ne les supprime pas. Si l'on réfléchit aux conditions de la vie mondaine telle qu'elle se pratique chez nous (et M. Melchior de Vogüé a montré qu'à cet égard la Russie n'avait rien à nous envier), aux excitations de toute sortes dont elle est l'occasion, aux fatigues physiques qu'elle entraîne et qui résultent presque fatalement de l'habitude des repas trop longs et trop copieux, dans des salles souvent surchauffées, des longues veillées, de l'insuffisance du sommeil, au moins du sommeil pris aux heures régulières, on ne s'étonnera pas qu'elle soit fréquemment la cause du développement de l'asthénie nerveuse. On le comprendra d'autant mieux que cette existence toute artificielle et factice entraîne presque nécessairement à sa suite une sorte de surmenage moral qui résulte des efforts mesquins faits pour réaliser les fantaisies de la vanité, ou des vexations d'amour-propre qu'occasionne l'incomplète satisfaction des désirs les moins élevés et les moins nobles. Le souci du rôle utile que chacun peut remplir dans son milieu suivant ses aptitudes et ses facultés, n'est pas seulement un élément de moralisation, c'est à certains égards une condition de santé, et la neurasthénie est souvent la légitime mais regrettable rançon de l'inutilité, de la paresse, ou de la vanité.
Pr. Adrien Proust et Dr. Gilbert Ballet, L'Hygiène du Neurasthénique (Masson & Cie, Paris, 1897)
Lorsque le professeur Adrien Proust écrit L'Hygiène du neurasthénique, son fils Marcel a 26 ans.
Lorsque le professeur Adrien Proust écrit L'Hygiène du neurasthénique, son fils Marcel a 26 ans.
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